Trévarez teste les leviers du bas carbone
Recherche. La ferme expérimentale de Trévarez a mis en place un système bas carbone depuis 2018. Fidèle à l’esprit qui l’anime depuis cinquante ans, elle teste des itinéraires techniques dans le but de les proposer ensuite aux éleveurs.
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La station de Trévarez (Finistère) élève 125 vaches holsteins sur 120 ha en conventionnel avec un objectif de production de l’ordre de 8 000 kg/vache. Elle est pilotée par la chambre d’agriculture de Bretagne avec la participation d’Idele. Les laitières disposent de 25 ares accessibles pour le pâturage par vache, un niveau proche de la moyenne de la région. Depuis 2018, un système bas carbone a été mis en place. L’objectif est de réduire le bilan carbone de l’élevage de 20 % d’ici 2025 en jouant à la fois sur les émissions et sur le stockage du carbone (1). « Nous avons d’abord voulu éliminer le soja car il s’agit d’un produit importé qui gonfle les émissions de gaz à effet de serre (GES) », explique Pascal Le Cœur, directeur de la station. Tout ce qui améliore l’autonomie fourragère et protéique contribue à une réduction des émissions.
Suppression du concentré de production
Les vaches ne reçoivent plus de concentré de production, et le correcteur azoté est supprimé dès que l’herbe pâturée est majoritaire dans la ration. Le régime hivernal comprend 40 % d’ensilage d’herbe issu de fauche précoce afin de limiter les besoins en correcteur azoté. Le soja a été remplacé par du colza à raison de 1,5 kg de colza/kg de soja. L’impact sur les émissions a été calculé à - 6 %.
Ce levier alimentaire est sans doute le plus facile à actionner. Des travaux conduits précédemment à Trévarez avaient montré qu’il était possible de produire 8 000 kg de lait par vache uniquement à partir de fourrages de qualité et d’une complémentation à base de colza en hiver. Des simulations ont conclu que la suppression du concentré de production diminue l’empreinte carbone nette de 5 %. Elle s’accompagne d’un recul de la production de 0,5 kg de lait/kg de concentré en moins. Mais le premier poste d’émission en élevage laitier vient du méthane entérique (60 %).
Réduction du nombre d’animaux improductifs
Le deuxième levier concerne donc la conduite du troupeau afin de limiter les animaux improductifs. On estime que cela peut permettre de réduire les émissions de 10 à 15 %. L’équipe de Trévarez a d’abord cherché à caler le nombre de génisses élevées sur les besoins de renouvellement stricts, soit 45 par an. Les vêlages sont groupés sur deux périodes, 35 % au printemps et 65 % à l’automne. 90 vaches sont inséminées en prim’holstein et les autres en race à viande. « On regarde à l’automne le nombre de génisses conservées en début de saison et on ajuste », poursuit Pascal Le Cœur. Le taux de réforme reste inférieur à 30 %. Dans la même logique, la conduite vise à avancer l’âge au premier vêlage. La moyenne se situe aujourd’hui à 25 mois et il semble difficile d’aller plus loin. En effet, le groupage des vêlages impose de décaler de plusieurs mois les génisses trop légères pour être mises à la reproduction.
Cependant, préparer les génisses pour vêler à 2 ans nécessite des croissances élevées et donc des concentrés en première année, ce qui augmente les émissions. Mais la mise à la reproduction trop précoce pénalise la production pendant les première et deuxième lactations, ce qui est défavorable au bilan carbone. À Trévarez, la totalité du concentré énergétique, 12 tonnes de céréales par an, est destinée aux génisses de première année. Ensuite, une ration à base de fourrages de bonne qualité suffit à assurer les croissances. Certes, en saison de pâturage, la ration est forcément de qualité un peu hétérogène. Les pesées montrent bien que les croissances sont liées à la qualité de l’herbe. Mais ce régime est celui qui génère le moins d’émissions.
En 2020, troisième année de l’essai bas carbone, les performances zootechniques sont plutôt en progression en ce qui concerne la production, le coût alimentaire et l’âge au vêlage. Les taux sont stables.
L’assolement et la conduite des cultures fournissent un autre levier pour réduire les émissions de GES. Les intrants sont responsables d’émissions indirectes (fabrication, transport), tandis que la consommation de carburant émet du CO2. Les prairies et les haies fixent du carbone et améliorent le bilan. Pour limiter les achats d’aliments, ces prairies doivent être productives. De plus, on sait que les prairies vieillissantes et peu productives fixent moins de carbone.
Des prairies intercalées sur toute la surface
À Trévarez, la SFP représente 90 % de la SAU. Les responsables de la station travaillent sur les rotations pour disposer toujours de prairies productives et pérennes. Dans cette logique, la monoculture d’herbe est exclue. Sur la surface accessible, la rotation type démarre avec deux ans de maïs après un retournement de prairie (RGA-TB) âgée de 6 à 7 ans. Un couvert est semé entre les deux maïs pour capter l’azote. Une céréale suit avant le retour d’un RGA-TB. Parfois, une dérobée (colza et RGI) est semée derrière la céréale. Car un semis de printemps favorise un développement plus équilibré entre le RGA et le TB.
Sur ces parcelles proches des bâtiments, une interculture RGI-colza est parfois installée entre deux prairies de RGA-TB. Semée en début d’été, elle peut-être pâturée 50 jours plus tard et reste en place huit mois. Elle valorise bien l’azote libéré par la prairie.
L’introduction des prairies est intéressante aussi dans les parcelles non accessibles aux laitières. Elles stimulent les rendements, réduisent la pression des adventices et favorisent la biodiversité. Elles sont pâturées par les génisses, et/ou fauchées. Car les besoins en ensilage d’herbe de qualité sont élevés.
Enfin, la fertilisation est raisonnée en fonction des émissions de GES. Les céréales reçoivent 100 UN minéral et les prairies 80. Le maïs n’en a que 20 car il profite du fumier de bovin (13,5 t) et du lisier de porc (5 m3).
Les essais concernent aussi le troupeau bio de Trévarez, 60 vaches sur 85 ha. Dans ce système, les émissions brutes/kg de lait sont plus élevées en raison de la productivité laitière plus faible. Mais le stockage de carbone est supérieur car les prairies et les haies sont plus nombreuses. Au final, les élevages bio présentent en moyenne des bilans carbone plus favorables.
Pascale Le Cann(1) Ces travaux s’inscrivent dans le projet européen Life Carbon Dairy.
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